Tous les visages sont des paysages

tous les visages sont des paysages

TGV Paris, Barcelone. Je lève les yeux de mon livre. Les gens ont l’air de tuer le temps en tapotant sans conviction sur leur smartphone. Ils soupirent souvent. Font la gueule. Les bébés pleurent, les enfants crient, les chiens jappent. Cela sent l’œuf dur et les chips.

Pourtant, j’aime le train : plus là-bas, pas encore ailleurs. Un sas. S’autoriser à somnoler, lire, rêver, observer les humains, s’imaginer leur vie. Prendre le temps. Je souris à une petite fille qui, étonnée, détourne son regard puis, recherche le mien. Elle sourit à son tour. Etre en lien par les yeux, la posture. Tout le long du trajet, nous allons nous envoyer discrètement des signes de reconnaissance.

Je m’aperçois que mon téléphone ne capte plus. Du coup, les conversations insipides autour de moi m’agressent. Les bruits aussi. Mon voisin mastique bruyamment un sandwich. Je m’exaspère, m’agace, me stresse. Et voilà que la petite voix du « saboteur » (nous avons tous une petite voix dictatrice en nous) se réveille : tu n’as pas fait ci, tu n’as pas fait ça… Le stress serre mon estomac.

Stop ! Je reprends contact avec mes sensations : comment réagit mon corps ? Mes épaules sont-elles tendues ? Ma mâchoire crispée ?  Mon cou raide ? Je m’efforce de réduire les tensions.  Je m’enracine dans l’ici et maintenant, j’occupe mon esprit à observer des « plaisirs minuscules ». Je m’écoute respirer. Je me concentre sur mon souffle. Je me sens vivante et tant pis pour les imperfections. Je range mon smartphone dans mon sac. Par la fenêtre, j’observe la nature filer. L’étang de Leucate brille sous le soleil. Des souvenirs d’enfance remontent.

Je me reconnecte au regard de la petite fille. Comme une ancre. Nos visages s’éclairent. Tous les visages sont des paysages. Sourires mutuels. Etre attentif à l’autre, dialoguer (même avec les yeux) donne du sens à l’existence. Car la vie est un voyage. Elle se déroule à la vitesse TGV.  A chacun de choisir le meilleur itinéraire, de faire les bons choix, de la traverser en conscience et en congruence en s’interrogeant sur ce qui importe réellement pour nous et peut influencer (modestement) le monde.